21/01/2007

Lorsque j'étais une oeuvre d'art, d'Eric-Emmanuel Schmitt

Tazio en a marre de vivre, marre de lui, marre de tout râter…il râte même ses suicides, mais alors qu’il est au bord de cette falaise il se dit que cette fois-ci c’est la bonne et que rien ne pourra l’empêcher de sauter. Tazio est insipide, il n’est ni beau ni laid, il n’est ni complètement sot ni intelligent, il est invisible aux yeux des autres, surtout confronté à ses frères jumeaux, les célèbres frères Firelli, mannequins adulés de tous et surtout de toutes. Même quand il se regarde dans le miroir son propre regard glisse sur la pièce derrière lui.
Mais ce jour-là, alors qu’il est prêt à mourir, s’installe derrière lui un bien curieux personnage : Zeus-Peter Lama, un célibrissime artiste. Ce dernier lui propose un délai de 24h pour le convaincre de renoncer à son suicide et reprendre goût à la vie. Il lui propose de devenir une œuvre d’art. Tazio renonce alors à son humanité au profit de la condition d’objet d’art admiré de tous…admiré de tous : ce dont il a toujours rêvé. Mais le rêve va vite se transformer en cauchemar.
L’histoire est fantastique et se dévore en très peu de temps ! Très bonne réfléxion sur l’art, le marché de l’art et ses limites, la beauté, la célébrité, le snobisme etc. Quand l’homme devient œuvre d’art… on ne peut pas ne pas penser à un personnage comme Orlan qui fait de son corps sa matière première pour construire ses œuvres…Je vous laisse découvrir ce petit roman.
Un petit extrait pour vous donner envie :

« L’étoffe s’envola au-dessus de moi dans un bruit d’ailes en tissu et j’apparus, seulement vêtu d’un short, à l’assistance.
Elle absorba le choc par un « Ah » étouffé, comme si elle avait dû bloquer sur son estomac un ballon lancé à toute force. Les sourcils s’arrondissaient. Les bouches ouvertes ne disaient rien. Le temps était suspendu.
Zeus-Peter Lama s’approcha de moi et me regarda avec fierté. Quand je dis « me regarda », je dois préciser qu’il s’agissait de mon corps car Zeus, depuis l’opération, ne croisait plus mes yeux, sans doute parce qu’ils subsitaient comme une rare partie de mon être qu’il n’avait pas retravaillée. Pourtant, ce soir-là, un bel échage de regards m’aurait encouragé, d’autant que le silence s’épaississait.
Zeus cria avec autorité :
-Debout !
Comme nous l’avions convenu, je quittai le tabouret pour me tenir sur mes jambes. Un murmure d’effroi parcourut les spectateurs. Persuadés, vu mon apparence pour le moins étrange, de se tenir face à une sculpture,ils avaient eu la surprise de voir du marbre s’animer.
Zeus-Peter Lama gonfla sa poitrine comme un dompteur et hurla avec la sécheresse d’un coup de fouet :
-Marche !
Avec lenteur et difficulté, j’esquissai quelques pas. « Marcher » n’était pas le bon mot, « se déplacer » aurait mieux convenu car depuis les interventions de mon Bienfaiteur, j’avais un peu de mal à …enfin passons ! Je fis deux fois le tour du podium, en vacillant dangereusement sur moi-même après chaque mouvement. Je n’osais pas contempler autre chose que mes pieds-là -encore le mot ne convient plus, je devrais sans doute dire mes « contacts avec le sol »-,la timidité me raidissait et m’empêchait de tourner la tête vers le public.
-Salue !
Ca, ce n’était pas prévu. J’étais déconcerté. Je ne réagis pas. Zeus-Peter Lama, le torse avantageux, répéta plus fort, comme si j’étais un fauve qui refusait d’obtempérer :
-Salue !
Pour qu’il cessât de s’époumoner, je baissai le haut de mon corps. Un applaudissement partit du premier rang, un applaudissement serré, très nourri, péremptoire, comme le crépitement d’une machine à écrire. Puis un autre l’accompagna. Puis un autre. Un autre. Très vite, l’assemblée entière battit des mains. »

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